Serrigny frappa à la porte jusqu’à ce qu’apparaisse un homme chauve grand et puissamment construit avec une grande moustache blonde. Derrière lui, une femme se couvrait discrètement d’une couverture. Serrigny s’excusa abondamment auprès de Pétain pour s’être immiscé dans ses congés, puis présenta des ordres du général Joseph Joffre, commandant en chef de l’armée française, ordonnant à Pétain de se présenter au quartier général suprême à 8 heures du matin. Pétain savait qu’une offensive allemande avait commencé à Verdun quelques jours plus tôt, et il prit la convocation pour signifier que les choses allaient mal et qu’il entrerait bientôt dans la bataille. Imperturbable comme toujours, Pétain remercia Serrigny de ses efforts, puis chargea son aide de camp agité d’obtenir une chambre et de se reposer, car ils partiraient dans quelques heures. Pétain retourna alors auprès de son amant et apprécia le reste de ce qu’il se souvint plus tard avec émotion comme une » soirée mémorable. »
Le général Erich von Falkenhayn, chef d’État-major allemand, connaissait la valeur de Verdun pour la France en termes d’ouvrages défensifs, ainsi que son image de forteresse imprenable. Quoi de mieux, alors, pour entraîner l’armée française dans une bataille d’usure? Falkenhayn a baptisé son plan Opération Gericht (« Lieu de jugement ») et a voulu que ce soit la bataille décisive qui détruirait la France et mènerait à la victoire allemande ultime.
Cette bataille a commencé le février. Le 21 novembre 1916, plus de 3 500 canons allemands, la plus grande concentration d’artillerie jamais vue en guerre, ouvrent le feu sur les lignes françaises faiblement tenues dans le saillant de Verdun. Après un déluge d’acier et de gaz toxiques de 36 heures, la Cinquième Armée allemande, commandée par le fils aîné du Kaiser, le prince héritier Wilhelm, se lance à l’attaque. Le général Frédéric Herr, commandant général de la RFV, savait que son commandement était désespérément surpassé et ordonna un retrait tactique pour concentrer ses troupes sur les hauteurs à l’est de la Meuse. Joffre n’était pas content quand il a appris la décision et a ordonné à Herr de tenir bon et de ne plus faire de retraits. Joffre lui dit que les secours sont en route, puis ordonne à la Deuxième armée de Pétain de se lancer dans la bataille.
Henri-Philippe Benoni Omer Pétain est né en 1856. Il décide d’une carrière militaire à l’âge de 14 ans après avoir été témoin de la destruction de sa nation par les Allemands lors de la guerre franco-prussienne. En 1877, Pétain est diplômé de la prestigieuse académie militaire française de St. Cyr, et pendant les 37 années suivantes, il servit dans des régiments de Chasseurs Alpins d’élite et enseigna à l’école d’infanterie de l’armée française, ainsi qu’à l’École Militaire de Paris.
À la fin du XIXe siècle, l’armée française s’était entichée du culte de l’offensive et de sa doctrine selon laquelle l’élan et la baïonnette porteraient le jour. Se moquant de ces notions, Pétain a insisté sur le fait que la puissance de feu, générée par une infanterie et une artillerie étroitement coordonnées, était la clé de la guerre moderne. Les théories démodées et la franchise de Pétain lui ont valu d’être privé du grade d’officier général, de sorte qu’en 1914, il était lieutenant-colonel, à un an de la retraite obligatoire. Puis vint la Grande Guerre, et Pétain passa d’hérétique à prophète. Sa doctrine de la puissance de feu, préconisée depuis longtemps, se révéla correcte sur le champ de bataille, et il fit une ascension vertigineuse de commandant de brigade à commandant général de la Deuxième Armée française en moins de six mois. Lors des batailles sanglantes de 1914-1915, il remporta de nombreuses victoires, notamment à la Marne et en Champagne, et devint connu comme l’un des meilleurs généraux de l’armée française.
Pétain avait choisi la ville de Souilly, à environ 9 milles au sud de Verdun, comme quartier général de la Deuxième Armée. Le 25 février, il s’y est rendu en voiture à travers une tempête hivernale nauséabonde. Le général Nöel de Castelnau, adjoint de Joffre, salue Pétain. Bien que de Castelnau ait reconnu le champ de bataille, il ne pouvait fournir à Pétain que des rapports d’étape sommaires. Mécontent, Pétain se rend au quartier général de Herr pour évaluer lui-même la situation et trouve une scène de désolation : Un Herr accablé lui apprend que le fort de Douaumont, rempart des défenses françaises à Verdun, est tombé plus tôt dans la journée. Les Allemands tenaient la majeure partie des hauteurs à l’est de la Meuse, et Herr avait commencé les préparatifs d’un retrait général de l’autre côté de la rivière, ce qui signifiait essentiellement l’abandon de Verdun.
Pétain revint à Souilly et rapporta les plans de Herr à de Castelnau. Contenant à peine sa colère, de Castelnau expliqua que Joffre avait déjà décidé que Herr devait partir, ce qui ne faisait que le confirmer. De Castelnau rédige un ordre laconique au nom de Joffre, plaçant Pétain au commandement de toutes les forces françaises dans le secteur de Verdun.
Bien qu’il n’ait pas dormi au cours des dernières 24 heures, Pétain a ignoré les demandes de repos de son personnel. La mairie de Souilly est réquisitionnée pour servir de quartier général et son état-major transforme l’ancien bâtiment en poste de commandement moderne. Pétain a placé une grande carte de la RFV sur le mur de son bureau et, en l’étudiant, il a commencé à réaliser l’immensité de la tâche qui l’attendait. Il y avait peu de marge de manœuvre sur la rive est de la Meuse, mais la perdre, c’était perdre Verdun. Pétain décide donc d’établir sa principale ligne de résistance à l’est de la Meuse tout en déployant le gros de son artillerie sur les hauteurs à l’ouest de la rivière, où elle serait relativement sûre mais toujours capable de tirer sur les Allemands qui attaquent. Pétain passe la majeure partie de la nuit à marquer les positions défensives de chaque corps et à donner des ordres pour le déploiement des renforts qui doivent arriver dans les prochains jours.
Pétain finit par s’effondrer sur un lit dans son bureau juste avant l’aube pour se réveiller quelques heures plus tard avec une forte fièvre et une toux féroce. On lui a diagnostiqué une double pneumonie. Le médecin convoqué par son personnel a déclaré que cela pourrait être fatal et a prescrit des médicaments et du repos. Pétain a abattu une variété de médicaments et de remèdes maison, a haussé les épaules des avertissements terribles et est retourné au travail. Il a enroulé des couvertures autour de son corps rongé par la fièvre et a placé un poêle en pot à côté de son lit avec un petit bureau et un téléphone. Là, perché sur le bord de son lit de malade et planant à la porte de la mort, Pétain prend le commandement des opérations militaires françaises à Verdun.
Téléphonant à chacun des quartiers généraux de corps et de division de la RFV, il annonça : » C’est le général Pétain qui parle. Je prends le commandement. Informez vos troupes. Garde ton courage. Je sais que je peux compter sur toi. » Sous sa direction constante, les défenseurs français reprirent pied et ripostèrent sauvagement contre les Allemands surpris, qui pensaient que la bataille était déjà gagnée. Bien que le fort Douaumont soit tombé, toutes les autres forteresses du secteur restent aux mains des Français. Pétain contre-attaqua les instructions antérieures de Herr pour la démolition de ces forts et ordonna à la place de les renforcer et de les ravitailler. Les forts devaient devenir les principaux centres de résistance sur lesquels sa ligne défensive serait basée. Toujours fortement dépassés et en infériorité numérique, les Français s’accrochent obstinément à leurs forts et ouvrages défensifs le long de la rive est de la Meuse et repoussent de nombreux assauts allemands. En quelques jours, l’offensive allemande a commencé à perdre de son élan.
La crise immédiate étant maîtrisée, Pétain concentre son attention sur la situation précaire de l’approvisionnement à Verdun. Avant la guerre, il y avait eu deux grandes lignes de chemin de fer dans Verdun, mais l’avance allemande de 1914 en avait coupé une, tandis que l’autre s’approchait précairement des lignes allemandes et était facilement interceptée par leurs tirs. Cela laissait la tête de rail utilisable la plus proche à Bar-le-Duc, à environ 45 milles au sud de Verdun. Il était solidement relié à la ville forteresse par un chemin de terre de 20 pieds de large et le Meusien, un petit chemin de fer à peine opérationnel.
Pétain utilisait le Meusien pour transporter de la nourriture, mais la ligne était par ailleurs insuffisante. Il ordonna la construction d’une ligne de chemin de fer en bonne et due forme vers Verdun, mais il savait que cela prendrait des mois. D’ici là, ses renforts, ses remplacements et ses munitions devront être transportés par camion de la tête de train de Bar-le-Duc à Verdun. Pétain fit donc appel au Service automobile de l’armée française pour ce qui allait devenir la plus grande utilisation de véhicules motorisés dans la guerre jusqu’alors. Il divisa la route de Bar-le-Duc à Verdun en six sections, chacune avec des ateliers de réparation, des stations de ravitaillement, son propre commandant et un contingent de policiers militaires pour diriger la circulation. Les convois de ravitaillement étaient gérés par l’automobile de service et la commission de circulation de Bar-le-Duc spécialement créée, comprenant 9 000 officiers et hommes avec 3 900 véhicules. Cette force était chargée de déplacer les renforts, les remplacements, les munitions et les fournitures pour toute une armée, ainsi que d’évacuer les blessés du champ de bataille vers les hôpitaux à l’arrière. La route a été baptisée la Voie Sacrée, et le long de celle-ci, le sang de la France s’est déversé dans la fournaise de Verdun.
Au milieu des travaux de Pétain pour organiser ses lignes de ravitaillement, les températures glaciales qui avaient dominé les premiers jours de bataille se sont élevées de façon inattendue. Le temps modéré transforma la Voie Sacrée en un bourbier infranchissable, et les colonnes de ravitaillement françaises s’arrêtèrent dans la boue. Pétain releva ce défi en enrôlant la population locale dans des bataillons de travail. Il établit un certain nombre de carrières de pierre et met en place des équipes de relais de travailleurs civils pour déplacer le gravier produit sur la route. Des bataillons ouvriers de troupes coloniales d’Afrique et d’Asie ont travaillé fiévreusement pour pelleter le gravier dans la boue et raffermir la route. Ces efforts extraordinaires ont solidifié la route et les camions ont recommencé à rouler vers Verdun.
Les convois motorisés acheminaient les hommes et le matériel vers la zone de combat 24 heures sur 24. La performance de l’automobile de service dans les premières étapes critiques de la bataille de Verdun était prodigieuse, surtout compte tenu du temps terrible et des véhicules primitifs. Au cours des deux premières semaines de la bataille, les camions français transportent 190 000 hommes, 22 500 tonnes de munitions et 2 500 tonnes de divers autres matériels jusqu’à Verdun.
Avec sa ligne de vie logistique en place, la prochaine priorité de Pétain était d’établir la suprématie du feu français. Il réorganisa les canons à sa disposition et envoya des demandes urgentes de batteries et de munitions supplémentaires. Pétain se souviendra plus tard : » J’ai sans cesse encouragé l’activité de l’artillerie. Lorsque les officiers de liaison des différents corps d’armée, réunis à Souilly pour leur rapport quotidien, commencèrent à m’expliquer en détail le déroulement des combats sur leurs différents fronts, je ne manquai jamais de les interrompre par la question : » Qu’ont fait vos batteries ? Nous discuterons d’autres points plus tard. » Pétain donna l’ordre de concentrer les tirs d’artillerie et ordonna aux observateurs de lui rapporter chaque barrage en détail, jusqu’au type de projectile tiré par chaque canon. Avec ces rapports, il a coordonné le feu de chaque batterie de la Deuxième armée.
En 1916, les avions et les ballons d’observation étaient les yeux de l’artillerie. Les Allemands avaient établi leur supériorité aérienne au début de la bataille, mais le général français était déterminé à la reconquérir afin que ses canons aient une direction de tir adéquate. Il a convoqué le pilote de chasse français pionnier Charles Tricornot de Rose à son quartier général et s’est exclamé: « Rose, je suis aveugle! Nettoyez le ciel pour moi! »
Dans les semaines suivantes, le Commandant de Rose réunit les meilleurs pilotes de l’Aéronautique militaire, dont Jean Navarre, Georges Guynemer et Charles Nungesser. De Rose organisa ces pilotes d’élite en escadrilles de chasse, les premiers véritables escadrons de chasse de l’histoire de l’aviation, et les envoya au combat contre les Allemands.
Les nouveaux escadrons de chasse remportent de nombreuses victoires. À la demande de Pétain, ils augmentèrent considérablement en force au cours de la bataille et se modernisèrent à plusieurs reprises avec de nouveaux et meilleurs modèles d’avions. Finalement, il y avait 15 escadrons, dont la célèbre Escadrille américaine (plus tard rebaptisée Escadrille de Lafayette), composée de pilotes américains volontaires qui ont d’abord expérimenté le combat aérien dans le ciel de Verdun. À l’été 1916, les aviateurs alliés avaient pris le dessus. » Verdun a été le creuset où s’est forgée l’aviation française « , écrira plus tard Pétain. Sa capacité à intégrer la technologie naissante de l’aviation militaire dans ses opérations à Verdun fut un élément clé de l’ultime victoire française.
Après l’assaut allemand de février et mars 1916, la bataille s’est transformée en une sombre lutte d’usure dans laquelle les Français étaient nettement désavantagés. Entassés dans une tête de pont étroite sur la rive est de la Meuse, ils sont encerclés par l’artillerie allemande qui est à la fois plus nombreuse et plus puissante que la leur. Le seul avantage revendiqué par les Français était leurs forts qui, sur ordre de Pétain, avaient été transformés en puissants centres de résistance. La citadelle centrale de Verdun servait de poste de commandement principal. Ses murs massifs recouverts de terre et ses galeries souterraines en faisaient un quartier général idéal, un hôpital et un dépôt d’approvisionnement. Le centre de commandement tactique des opérations françaises sur la rive est de la Meuse était le fort Souville, l’un des forts les plus modernes du secteur. Elle aussi était bien construite, avec de multiples positions de mitrailleuses en béton armé d’acier qui s’élevaient comme une hydre de la forteresse souterraine et crachaient du feu sur tous ceux qui osaient s’approcher. Cette forteresse a résisté à de nombreuses attaques, empêchant toute tentative des Allemands d’avancer de leur ligne de crête et de prendre Verdun. Les anciens forts du secteur se sont révélés très utiles comme abris pour les formations de réserve, les fournitures et les hôpitaux de campagne.
Pétain, contrairement à beaucoup d’autres commandants de l’époque, avait un souci sincère pour le bien-être de ses hommes et comprenait le sacrifice demandé aux soldats qu’il envoyait au combat. Il institua un système de rotation, selon lequel, après trois jours au front, une division serait retirée et passerait une semaine à se rétablir avant de retourner au combat. Cela a permis aux hommes juste assez de répit pour se maintenir physiquement et psychologiquement forts pour le combat. En contraste frappant, la pratique allemande consistait à maintenir les divisions de première ligne en action jusqu’à ce qu’elles soient pratiquement détruites.
Le général Joffre se réjouit de la défense de Verdun par Pétain mais s’impatiente de la bataille. Il exhorte Pétain à lancer une contre-offensive immédiate, mais Pétain refuse, insistant sur le fait que les Allemands sont encore trop forts. Joffre était également agacé par les demandes constantes de Pétain pour plus d’hommes, de canons et de fournitures ; la bataille de Verdun consommait des réserves que Joffre avait réservées pour une offensive conjointe franco-britannique le long de la Somme cet été-là.
Joffre pensait que l’obsession de Pétain pour Verdun l’avait aveuglé sur la stratégie globale des Alliés. Le commandant en chef français a fait valoir que la meilleure façon de stopper les attaques allemandes sur Verdun était que les Alliés lancent leur propre offensive dans un secteur différent. De son côté, Pétain était frustré par un haut commandement qui ne reconnaissait pas que la bataille culminant de la guerre était arrivée. Pétain croyait que si Verdun tombait, la France elle-même ne survivrait pas.
En avril 1916, lassé de l’intransigeance de Pétain, Joffre le met à l’étage, le nommant commandant du Groupe d’Armées du Centre, qui comprend la RFV. Il confie au général Robert Nivelle le commandement de la Deuxième Armée. Joffre pensait que ce nouvel arrangement de commandement offrirait le meilleur des deux mondes : Pétain aurait les ressources d’un groupe d’armées entier à sa disposition, ce qui permettrait à Joffre de reprendre le stock de ressources pour l’offensive de la Somme. Joffre croyait également que Nivelle serait plus enclin à lancer la contre-offensive de Verdun qu’il cherchait depuis longtemps.
Le 22 mai 1916, peu après ce remaniement, Nivelle lance la contre-offensive. L’objectif était la reprise du fort de Douaumont, avec sa position dominante sur la rive est de la Meuse et sa valeur politique en tant que symbole du succès précoce de l’Allemagne. L’attaque française fait de bons progrès initiaux, mais les Allemands, comme Pétain l’avait craint, sont encore trop forts. La force d’assaut réussit à s’approcher de la forteresse mais fut repoussée en quelques heures par une forte contre-attaque.
À la suite de cette contre-offensive ratée, Pétain réaffirme son autorité sur les opérations militaires à Verdun. En théorie, la nouvelle structure de commandement conçue par Joffre avait déchargé Pétain de ses responsabilités tactiques dans le secteur, mais en réalité Pétain conservait le contrôle, et il gardait Nivelle en laisse très courte.
En juin, les Allemands lancent une nouvelle attaque visant à chasser les forces françaises de la rive est de la Meuse. Les Allemands envahissent rapidement les positions françaises périphériques et se dirigent vers le fort Vaux. Le commandant Sylvain-Eugène Raynal défend le fort avec une force d’environ 600 hommes, dont de nombreux soldats blessés qui s’y sont réfugiés alors que l’offensive allemande avance. L’artillerie lourde pilonne le fort, le ramollissant pour l’attaque d’un corps allemand entier. Raynal et sa vaillante force réussirent à repousser les assauts allemands pendant près d’une semaine avant de succomber à la soif lorsque leurs réserves d’eau s’épuisèrent. Bien que le fort soit tombé, la position défensive de Raynal avait enlisé les Allemands. L’engagement avait également prouvé une fois de plus la puissance défensive des forts français. Pendant toute la campagne de 10 mois, les Allemands ne capturent que Douaumont et Vaux.
L’offensive franco-britannique de la Somme débute enfin le 1er juillet, imposant d’énormes exigences aux forces allemandes sur le front occidental. Le 12 juillet, la Cinquième armée du prince héritier Guillaume fait un dernier effort pour capturer Verdun, mais les Français lui infligent de lourdes pertes et la refoulent après des jours de combats intenses. Son plan pour la victoire à Verdun ayant échoué, Falkenhayn déplace ses forces vers la Somme pour répondre à la nouvelle offensive alliée.
L’échec allemand à prendre Verdun eut des répercussions dramatiques: En août 1916, le kaiser Guillaume II remplaça Falkenhayn par le maréchal Paul von Hindenburg. Hindenburg et son brillant chef d’état-major, le général Erich Ludendorff, avaient remporté une série de grandes victoires sur les Russes sur le front de l’Est.
Peu après avoir pris leurs nouvelles fonctions, Hindenburg et Ludendorff inspectèrent le secteur de Verdun et le décrivirent comme » un enfer régulier. »Le nouveau chef d’état-major a informé le Kaiser Wilhelm que « les batailles là-bas épuisent notre armée comme une plaie ouverte. » Hindenburg écrivit plus tard: « Dans une large mesure, la fleur de nos meilleures troupes combattantes avait été sacrifiée dans l’enterprise. Le public à la maison s’attendait toujours à un problème glorieux à l’offensive. Il ne serait que trop facile de donner l’impression que tous ces sacrifices ont été vains. » Hindenburg stoppa les opérations offensives à Verdun et ordonna au prince héritier Wilhelm de consolider ses forces dans des positions défensives. En ce qui concerne le haut commandement allemand, la bataille de Verdun est terminée et ils espèrent que les Français la verront de la même manière.
Pétain n’avait pas une telle intention. Il savait qu’avant de pouvoir revendiquer la victoire, il faudrait reprendre le fort Douaumont. Perchées au sommet du point culminant à l’est de la Meuse, ses tourelles blindées commandaient le champ de bataille, faisant pleuvoir les tirs de l’artillerie allemande sur les forces françaises et Verdun même. Pétain planifie une contre-offensive majeure pour l’automne 1916 afin de reprendre les forts Douaumont et Vaux, ainsi que toute la ligne de crête à l’est de la rivière.
Il a travaillé en étroite collaboration avec Nivelle pour assembler des canons et des munitions pour l’attaque et pour affiner le concept de Nivelle d’un « barrage roulant », dans lequel un rideau de tirs d’artillerie était largué directement devant les formations d’assaut, puis déplacé vers l’avant à intervalles réguliers pour fournir un appui-feu à mesure que l’infanterie avançait. Les deux hommes conviennent que le général Charles Mangin doit mener l’attaque. Surnommé « le boucher » par ses détracteurs, Mangin était un habile tacticien qui conduisait personnellement ses troupes au combat. Pétain veilla à ce que les bataillons de Mangin soient portés à pleine puissance et équipés des armes les plus récentes, notamment des lance-grenades, des fusils automatiques et des lance-flammes.
La contre-offensive a commencé le 19 octobre. Pétain avait amassé plus de 700 canons lourds — dont une batterie de nouveaux canons de chemin de fer » super lourds » de 400 mm — et un nombre similaire de pièces légères et moyennes. Il fait du tir de contre-batterie une priorité absolue, et en seulement trois jours, l’artillerie française, dirigée par des ballons d’observation et des avions, assomme plus de la moitié des batteries allemandes dans le secteur de Douaumont.
Pour maintenir l’équilibre des Allemands, Mangin n’attaqua pas à l’aube comme d’habitude mais resta en position toute la matinée. Puis, à 14 heures, des cris de bataille ont retenti dans l’air frais de l’automne. Les bataillons d’assaut de tête de Mangin réussissent à surprendre les défenseurs allemands et envahissent rapidement leurs lignes de front. Un obus d’artillerie lourde pénètre dans le fort Douaumont pendant le bombardement et déclenche un incendie qui chasse les Allemands. Le feu a été maîtrisé, mais pas avant que l’infanterie française n’ait envahi les positions allemandes. Une heure après le début de l’attaque, des roquettes de signalisation s’élèvent au-dessus du fort Douaumont, incitant l’artillerie française à déplacer ses tirs. Les troupes d’assaut ont utilisé des miroirs pour renvoyer un message d’un mot au poste de commandement tactique du fort Souville : Victoire. Les acclamations retentirent à la nouvelle qu’après huit mois, le fort de Douaumont était de retour entre les mains des Français.
Les Allemands subissent de lourdes pertes pendant la contre-offensive et, le 1er novembre, l’avancée constante de l’infanterie française contraint le prince héritier Guillaume à abandonner le fort Vaux, son autre grand prix. Ludendorff se lamenta plus tard : » La perte fut grave, mais plus grave encore fut la décimation totalement inattendue de certaines de nos divisions. »
Pétain persiste dans son offensive. Après avoir consolidé ses positions autour de Douaumont, il se déplace pour repousser les Allemands plus en arrière, afin d’assurer la sécurité du fort. Le 14 décembre, les Français attaquent, infligeant de lourdes pertes aux Allemands. Alors que la bataille de Verdun touchait à sa fin en pleine tempête de neige le 16 décembre, les Allemands étaient presque revenus à leur point de départ de février. Cette dernière attaque scelle la victoire française. Ludendorff concède: « Non seulement nous avons subi de lourdes pertes, mais nous avons également perdu des positions importantes. La tension au cours de cette année s’était avérée trop grande ….Nous étions complètement épuisés sur le front occidental. »
La bataille de Verdun fut l’une des batailles les plus longues et les plus sanglantes de l’histoire, qui dura près de 10 mois et coûta plus d’un demi-million de pertes françaises et allemandes. La victoire française marque la descente de l’Allemagne dans l’abîme. Alors que de nombreux individus ont contribué au triomphe, Pétain les a tous dominés. Le général Joffre écrivit plus tard: » Ce qui a sauvé Verdun, c’est son sens tactique très développé, son perfectionnement continu des méthodes de défense et l’amélioration constante qu’il a apportée dans l’organisation du commandement des unités supérieures. Le général Pétain était le cœur et l’âme de l’action. »
Robert B. Bruce est l’auteur de Pétain : Verdun à Vichy. Pour plus de lecture, il recommande également: Verdun, d’Henri-Philippe Pétain, et Le Prix de la Gloire, d’Alistair Horne.